Des larmes coulant au creux des gerçures

comme la douleur des disparitions

– Jón, c’est son prénom. Avec un accent sur le o, aigu. Un joli ó islandais.

Camille ne semble pas goûter aux finesses linguistiques de Julie.

– De la tempête, de la glace et de l’eau des profondeurs qui vous arrachent le cœur. Vous plongerez dans une mer insondable, vous gravirez un à-pic et succomberez au vertige. Ce livre vous prendra, je vous assure. Prenez-le.

Camille n’ose pas lui dire qu’elle veut simplement partir, courir jusqu’à chez elle. Qu’elle va pleurer. Alors le livre, elle le prend pour pouvoir s’enfuir au plus vite.

– Vous verrez, poursuit Julie enthousiaste, vous y trouverez des mots et de la poésie, des solitudes, des larmes coulant au creux des gerçures, des mots liquides comme la douleur des disparitions. Vous pourrez fuir, fuir entre ciel et terre.

Camille est déjà partie.


Le livre que Julie conseille à Camille est Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson, dans une traduction de Éric Boury, aux éditions Gallimard, 2010.

Entre ciel et terre nous transporte dans les confins d’une Islande austère, balayée par le vent et les vagues d’une mer hostile. Publié en 2007, ce livre est le premier volet d’une trilogie (avant La tristesse des anges et Le cœur de l’homme) qui explore la condition humaine, le pouvoir des mots, la beauté des paysages nordiques et l’âpreté de la vie en milieu extrême.
Le roman bascule à la mort tragique d’un jeune pêcheur à la morue, Bárður, mort de froid en pleine mer pour avoir trop aimé, sous la lune, le Paradis perdu de John Milton, le poète aveugle. Le plus proche ami de Bárður, désigné simplement par « le gamin », est dévasté par cette disparition. Ensemble, ils avaient partagé l’amour de la poésie et de la beauté dans un monde dans lequel les mots semblent se heurter à la violence des éléments. Le gamin entreprend alors un long périple initiatique à travers l’île, afin de restituer le livre à son propriétaire, un vieux capitaine devenu aveugle.
Entre ciel et terre se clôt sur un sentiment d’espoir fragile, soulignant, malgré la dureté de l’existence, que la beauté et la poésie demeurent des refuges puissants.

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