– Je vais chercher la boule.
– La pomme !
Évidemment, je sais que c’est une pomme. Et elles d’ajouter, en braillant de leur voix traînante et aigrelette :
– La pomme a roulé du côté du voyeur.
Ce qu’elles peuvent m’agacer, ces deux-là. Il était temps que je leur fausse compagnie. Le truc de la pomme qui roule, elles n’ont toujours pas compris. Depuis le temps ! Hop, inopinément la boule m’échappe et le tour est joué.
Gustave m’envoie un discret clin d’œil. Il a compris mon manège. Il m’amuse avec son air de ne pas y toucher. Impassible. Quelques fois à la fermeture du musée, il arbore un sourire en coin, à moins que ce ne soit le changement d’éclairage. Toujours est-il que je l’aime bien ce Gustave. Les deux autres le prennent pour un pervers. Mais je sais qu’il n’en est rien. Il trouve à chaque fois le moyen de me faire un timide signe complice quand je pars à la recherche de la pomme ou comme cette autre fois où j’ai prétexté une crampe et devoir me dégourdir les guibolles. Avec leur sérieux inébranlable, mes deux collègues de tableau me lancèrent niaisement :
– Ce n’est pas très professionnel, Constance !
Je t’en foutrais du « professionnel ». Pause syndicale et puis c’est tout.
Et merde, elle est passée où, la pomme ? Ripé au bout du couloir jusque dans l’escalier ?
Oh non ! La voilà qui a rebondi dans le tableau du fond. La pomme s’est fichée dans la tronche de Vertumne. Je vais l’y laisser ; elle devrait passer inaperçue entre les raisins, les navets, les poireaux et les cucurbitacées.
Perdue la pomme, la liberté retrouvée, je déguerpis.